Je suis née en 1972 à Marseille.

D'aussi loin que je me souvienne, je me vois en train de dessiner.

Une vraie obsession depuis toujours.

Petite, je me rappelle être fascinée par le fait que le volume puisse être posé sur du papier. Je voulais dessiner de petites maisons en perspective, mais je ne savais pas comment faire, d'ailleurs je ne connaissais même pas le terme de perspective...J'insistais avec mon crayon sur la ligne des murs... jusqu'à percer le papier... quel était donc ce mystère, pourquoi je n'y parvenais pas?

Un jour j'ai compris, il suffisait d'incliner les lignes et  mon dessin apparaissait en 3 dimensions...C'était au CP,  c'était magique, je pouvais représenter tout ce que je voulais et créer mon propre univers... et depuis je ne me suis plus arrêtée.

A 18 ans j'ai réussi le concours d'entrée à l’École supérieure des Beaux-Arts d'Avignon. J'étais alors l'une des plus jeunes élèves à intégrer la formation au diplôme national en Conservation-Restauration d’œuvres peintes.

Au terme de 5 ans d'études, dont l'observation et la connaissance du savoir des peintres me servira toute ma vie,  j'ai d'abord entamé une carrière de restauratrice et de copiste. Mais en 2001, l'envie de quitter la métropole et de découvrir d'autres lumières, d'autres cultures, a été la plus forte. Alors avec mon bébé de 4 mois je suis  partie rejoindre mon compagnon  en Guyane. Ce fut un changement de vie radical. Une époque heureuse, marquée par la lumière et les couleurs vives  de l'équateur. Bercée par la douceur de vivre créole mon second enfant est venu au monde. Ce fut l'occasion rêvée de développer  ma créativité, tout en m'épanouissant comme maman.

C'est en Guyane que j'ai fait ma première exposition personnelle et c'est là-bas que j'ai trouvé l'équilibre entre créativité et maternité.

L'escapade aura duré 5 ans, en 2006 c'est le retour en métropole à proximité de Grenoble.

Mais c'est le choc, la perte de repère. La lumière, les couleurs, les valeurs et même le rythme de la vie sont différents. Je me sens perdue et isolée. Je me mets alors en lien avec d'autres artistes principalement  des danseurs, dont l'art, le mouvement et l'énergie  m’insufflent l'inspiration, génératrice de création. Entre échanges et collaborations le lien entre danse musique et peinture se développe.

A l'indolence succède le mouvement, tout comme les lumières artificielles succèdent au soleil du sud et de la Guyane. Me voilà maintenant fascinée par les lumières artificielles des salles de spectacles.

Je me mets à la photo, j'expérimente de nouveaux supports, non conventionnels,  en rapport avec cet environnement dans lequel émotion et technologie se mêlent avec bonheur. Je développe une technique propre, sur toile de carbone qui me permet de jouer avec ces éclairages changeants et multiples, tout en mettant en valeur l'émotion et l'intelligence du mouvement dansé.

En 2018 le diagnostic tombe: cancer du sein avec  ablation partielle du sein, cautérisation de l'utérus, chimiothérapie, rayons, immunothérapie , hormonothérapie

Arrêt brutal.  Changement  de vie radical. Encore une fois.

Avec ces traitements lourds, très vite je n'ai plus la force de travailler sur de grandes toiles. Je fais comme je peux, je reprends mes carnets. Je mets de la couleur, beaucoup de couleur .

Mes dessins me font tenir le coup.

Je dessine et je peins de belles amazones, j'imagine des vêtements, sous vêtement et maillots à porter sans prothèse qui mettent en valeur leur silhouette:  je me projette , je me reconstruis. Je poste ces dessins sur le net, le retour est immédiat, intense et chaleureux: les femmes me remercient pour ces dessins qui leur ressemblent, pour la douceur et la féminité qu'ils dégagent. Tout de suite je reçois des demandes pour acheter des sous-vêtements ..que je viens à peine d'imaginer et qui n'existent pas!

Nous sommes en 2018, rien d'ailleurs n'existe encore pour les amazones qui sont totalement absentes de l'espace public: pas de représentation dans la pub, le cinéma, la littérature ou  la peinture...

Je crée alors la page Facebook "Complètement femme - L'audace d'être entière après une mastectomie".

Le 8 mars 2019, journée des droits des Femmes,  je rencontre pour la première fois Valérie Blondeau: elle a une idée bien ancrée. Elle est amazone et elle veut un maillot pour nager librement , sans prothèse. Elle y  a réfléchi , elle l'a déjà en tête et imaginé. Elle me le décrit. Je le dessine suivant ses indications.  Lucie Cabanié, jeune modiste pour qui "le vêtement doit s'adapter au corps et non l'inverse" coudra ce prototype. Elle réalisera aussi un second modèle, moins technique, à partir d'un de mes dessins.

Alors, tout comme pour une performance artistique, l'idée me vient d'investir l'espace public avec ces maillots pour  amazone : aller se baigner ensemble, sans prothèse.  Sauf qu'ici, au-delà du fait d'exposer ou de s'exposer,  l'enjeu est avant tout de montrer qu'il est possible de se sentir bien et féminine tel que nous sommes. Des baignades pour briser la solitudes, échanger, oser ensemble et aider à se reconstruire mentalement.  Ce seront les baignades "Toutes à l'eau avec ou sans lolo".  Valérie, Lucie et moi fondons alors l’association "Complètement Femme" et la première baignade  aura lieu  l'été 2019 en Isère.

L'année suivante, en 2020 l'association sera la première a commercialiser des maillots pour amazone à porter sans prothèse.

Depuis l'idée des baignades "Toutes à l'eau avec ou sans lolo" a fait son chemin, de plus en plus de femmes sortent sans prothèse et les baignades se multiplient ( Bretagne, sud de la France, Ile de la Réunion, Canada, Tunisie..).  De mon côté je me donne à font pour m'occuper de la communication de l'association et faire connaitre l'option de rester amazone.

Le changement de mentalité est d'ailleurs amorcé, probablement lié au mouvement "me too". Partout les femmes se battent pour faire valoir leur droit d'accéder à un fini esthétique de leur mastectomie. Des marques de vêtements  dédiés aux amazones voient enfin  le jour.

Pour ma part j'ai compris que l'art n'avait pas forme spécifique,  pas de limite. Il est le tremplin des idées et de l’émotion. Il véhicule à la fois la permanence et le changement.

Il permet de se relier les uns aux autres,  d'ouvrir les regards et les possibles, il aide à se reconstruire après les épreuves.

Il est matériel et spirituelle.

Il est mon ciel et ma maison, sans besoin de percer le papier.

Il est synonyme de Vie.

C'est l'Art libre d'aimer Vivre.

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Aujourd'hui je vais mieux, j'ai retrouvé des forces...peut-être est-ce le commencement d'un nouveau chapitre?